Cybercarnet

Se frayer un chemin dans les paysages interculturels

Mon parcours interculturel a vu le jour au sein de ma famille indienne et dans mon enfance passée dans le creuset des Caraïbes. C’était dans les années 60 et au début des années 70. Ces années formatrices passées dans cette petite île pendant cette période postcoloniale ont jeté les bases des années à venir. Ce paysage s’appuyait sur l’amour et le respect de la nature, sur de profondes relations familiales, sur la révérence accordée aux traditions, aux anciens et aux ancêtres. Il se fondait également sur l’art de raconter des histoires, sur la peur du monde spirituel ainsi que sur l’acceptation de l’existence de Dieu. Mon petit village constituait le seul monde que je connaissais à cette époque.

Au début des années 70, notre famille a déménagé dans la grande métropole de Toronto. Dans les quinze années qui ont suivi, j’ai appris à me frayer un chemin dans ce nouveau paysage culturel canadien. C’était en effet l’époque où s’amorçait l’immigration massive qui provenait de l’extérieur du monde occidental. J’ai pris conscience de ce que signifiait être un étranger. Désormais, l’éducation ne reposait plus principalement et uniquement sur mes relations avec la nature, les traditions et les membres de ma famille. Elle s’appuyait également sur les livres et sur d’autres moyens extérieurs à ma famille. La politesse canadienne, une approche positive de la vie, le multiculturalisme et l’individualisme se sont ancrés dans mon esprit d’adolescent, puis de jeune adulte. J’aimais l’aspect relationnel de la culture canadienne-française. Tant et si bien que j’ai épousé une Canadienne française. Cet autre parcours interculturel se poursuit jusqu’à présent.

Dans les années 90, j’ai encore déménagé pour répondre à l’appel de Dieu pour le servir en France. Un parcours échelonné sur plus de trente années. Il m’a permis de découvrir de nouvelles valeurs culturelles selon la perspective d’un étranger. Celles qui accordaient de l’importance à l’esthétisme, qui comportaient un généreux héritage philosophique, l’art de la critique, l’herméneutique du doute, ainsi qu’une solide fierté culturelle.

Ce vécu fertile m’a bien servi, surtout à l’enseignement de la théologie missionnelle en Afrique francophone, au Québec, à Madagascar et en Europe. Dans ces contextes diversifiés, Dieu m’a aidé à faire preuve de flexibilité dans mes méthodes d’enseignement. En Afrique, par exemple, lorsque je fais face à des méthodes d’apprentissages plus relationnelles, je suis reconnaissant de pouvoir m’appuyer sur les expériences de mon enfance, mais également sur d’autres pratiques d’enseignement occidentales. Lorsque je suis aux prises avec une compréhension plus pessimiste de la réalité, je suis reconnaissant pour le Canadien et le Caribéen qui se trouvent en moi. Ils me permettent de voir les choses avec un peu plus d’optimisme. Lorsque l’individualisme tente de couper mes liens avec les autres et avec la nature, je suis reconnaissant de pouvoir puiser sur mes racines indiennes. Lorsque je témoigne de l’Évangile avec des personnes dotées de perspectives différentes, je tente de faire comme l’apôtre Paul : de devenir tout en tous.

Ce grand et abondant héritage interculturel comporte cependant un autre versant. Certains jours, je me sens comme si je n’avais ma place nulle part. Cette question d’appartenance demeure si importante pour les personnes issues du multiculturalisme. Ces jours-là, où je me sens comme un excentrique, je suis si reconnaissant d’appartenir au Christ. Comme le père Abraham, j’essaie de garder mes yeux sur cette cité dotée de solides fondations, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur pour ses enfants. Hébreux 11.10 (Colombe).

 

— McTair Wall enseigne aux dirigeants missionnels émergents du monde francophone.