Cybercarnet du président

Lorsqu’un membre de l’Église souhaite recourir au suicide médicalement assisté

Depuis douze ans, Barbara est une membre active de votre Église. Elle aime Jésus.

Elle est tombée malade cette année. Sa maladie est incurable. Sa douleur progresse.

Sa fille vous envoie un courriel pour vous inviter à la cérémonie d’adieux de sa mère, ce jeudi à 15 heures à l’hôpital du coin. 

Que faites-vous? Que répondez-vous? Vous y rendrez-vous?

Le contexte actuel                            

Entre 2016 et 2020, plus de 20 000 Canadiens ont recouru au suicide médical assisté. Le projet de loi C-14 devenu loi le 6 juin 2016, rend légal un tel recours.  En 2019, 5 425 décès par aide médicale sont survenus au Canada, soit 1,9 % de la somme de tous les décès. En 2020, ce nombre est passé à 7 383 décès, soit 2,4 % du total des décès au Canada, soit une hausse de 36 % en une seule année. Cette tendance se poursuit.

Ce mois-ci, en mars 2023, les gens atteints uniquement de maladie mentale ainsi que les mineurs matures allaient devenir admissibles à la mort médicalement assistée. Une modification à la loi, survenue en 2021, permet cette admissibilité. Le report récent de deux ans de l’entrée en vigueur de cette modification permet ainsi d’autres consultations sur le sujet.

Si nos pasteurs et nos aumôniers n’ont pas encore eu à composer avec les réalités d’une personne qui veut avoir recours au suicide médicalement assisté, ils y seront bientôt exposés.

Que doit faire un serviteur de Dieu? Comment paîtrez-vous les membres de la famille du patient, surtout lorsque certains d’entre eux ne sont pas d’accord avec les derniers vœux de leur mère?

Que devriez-vous faire? Que devriez-vous dire?

J’ai demandé à plusieurs collègues de notre propre famille du Fellowship de pondérer ce propos et de nous transmettre certains conseils sur le sujet. Je leur ai demandé d’être pragmatiques. J’espère que vous trouverez utiles ces suggestions et ces commentaires.

 

  • Un pasteur s’est tourné vers les Écritures :

« Deux hommes à mon Église m’ont posé des questions sur l’AMM. Tous deux en étaient aux derniers stades de leur maladie. L’un était atteint d’un cancer, l’autre de la maladie de Lou-Gehrig (ou SLA : sclérose latérale amyotrophique, NDT). J’ai choisi d’éviter l’argumentation et de convenir avec eux que s’ils étaient encore en vie, c’était uniquement grâce à la science médicale. Ainsi, il ne leur semblait toutefois pas déraisonnable d’envisager la voie de la science médicale comme moyen de mettre fin à leur vie.  Puis, je leur ai lu Jean 21.18-19 et leur ai montré que l’objectif d’un chrétien consiste à glorifier Dieu en toutes choses. Et particulièrement par notre mort et que la question première qui se pose à chacun d’entre nous au moment de notre décès est : comment puis-je glorifier Dieu par cette mort? Aucun d’entre eux n’a choisi l’AMM, mais je crois que c’est leur femme qui les a influencés en ce sens. »

  • Un aumônier du Fellowship a transmis sa façon de faire :

« Lorsque j’y suis invité, j’ai décidé d’être présent à l’hôpital. Cependant, je ne serai pas présente dans la chambre où les médicaments mortels sont administrés. Je m’assois dans le corridor ou la salle d’attente. Je me trouve donc en dehors de la chambre de « traitement » avec les autres membres de la famille qui sont en désaccord ou qui peinent à accepter la décision de leur parent de mettre fin à ses jours. Lorsque survient la mort, j’entre alors dans la chambre dans le but d’exercer un ministère auprès de cette famille. »

  • Un autre pasteur du Fellowship fait part de ces deux expériences sur ce sujet :

« Je n’ai eu à composer qu’avec deux situations d’AMM qui entouraient des personnes en marge de notre communauté. Dans un cas, le mari a informé les membres de sa famille qu’il avait téléphoné pour obtenir l’AMM. Ces proches ont choisi d’être avec lui pour évoquer leurs meilleurs souvenirs avec lui, avant son heure ultime. Ils ne m’ont prévenu qu’après son décès. Je les ai soutenus par mon écoute sans les juger. La deuxième situation entourait les difficultés d’un mari et sa réaction face à la demande de l’AMM de son épouse qui souffrait d’un cancer depuis des années. Il m’a montré les formulaires. Nous avons discuté de la manière de bien terminer cette course pour les personnes qui souffrent, de prendre des décisions sans regret, de faire confiance à Dieu et de prendre du temps avec la famille, de saisir chaque minute à notre disposition. Même si sa femme avait signé les formulaires, elle avait choisi de ne pas les remettre aux responsables médicaux. Elle a reçu des soins de confort qui lui ont accordé dix jours supplémentaires pour dire au revoir à ses petits-enfants, etc. J’ai consacré beaucoup de temps au mari, pour le réconforter dans sa peine et j’ai été à l’écoute de ses émotions. Le simple fait qu’une chose soit légale ne signifie pas qu’elle soit juste pour autant. »

  • Un professeur de théologie de l’un des séminaires du Fellowship transmet ces conseils :

« C’est un sujet difficile. Et si j’ai un point de vue théologique sur le sujet, la perspective pastorale demeure encore plus difficile à aborder. La pensée qui me vient à l’esprit est semblable à la question de l’avortement. Selon moi, nous perdons notre voix lorsque nous parlons contre ces choses à moins de nous préparer à prendre soin activement et délibérément des personnes touchées. Nous pouvons pousser de hauts cris à propos de l’avortement. Mais à moins qu’en tant qu’Église et que congrégations d’Églises, nous n’établissions des structures de bienveillance, nos voix s’assourdissent. Il en va de même avec l’AMM. En principe, je considère ce geste mauvais sur le plan moral. Nous devons nous préparer à veiller sur nos frères et sœurs profondément affectés par des circonstances qui les poussent à avoir recours à l’AMM. Nous devons leur accorder le soutien nécessaire et participer activement aux difficultés auxquelles sont confrontées les personnes et leurs proches qui souffrent. Sans quoi, notre discours protestataire s’assourdit, et il est même réduit au silence. Cela signifie que les Églises consacrent du temps, des efforts et de l’argent pour pourvoir aux soins et aux structures nécessaires pour offrir des alternatives compatissantes et légitimes à l’AMM. Nous ne pouvons pas simplement balayer ce sujet du revers de la main, en nous fondant uniquement sur notre compréhension morale ou théologique de cette question et sur notre jugement des personnes qui ont recours à l’AMM. Selon moi, une partie de l’Évangile consiste à offrir ce type de soins. »

  • Un autre pasteur du Fellowship exprime son inquiétude pastorale :

« Parmi les nombreuses réalités suscitées par l’AMM, pour ma part, la plus importante demeure celle de l’allègement des restrictions de l’AMM en santé mentale. Je dispense des conseils à beaucoup de gens qui luttent contre la dépression sous toutes ses formes, dans un système médical boiteux, dépourvues d’aucun autre soutien. Dans ma région, il faut six ans d’attente pour consulter un psychiatre. Oui, c’est une question d’années et non de mois. Les personnes déjà en proie à des pensées suicidaires disposent désormais d’un moyen confirmé pour terminer leurs jours. Ce moyen semble être une lueur et une solution pour les personnes tourmentées par d’obscures ténèbres. Particulièrement parce qu’un grand nombre d’entre elles éprouvent des difficultés à mettre à exécution leur plan soigneusement élaboré, malgré leur désespoir. Maintenant, elles peuvent apparemment alléger facilement et proprement ce poids si lourd et être libérées de cet emprisonnement qui semble interminable. L’espérance est puissante (Romains 15.13). Son absence est tout aussi dévastatrice que la bénédiction suscitée par sa présence. En tant que pasteur et conseiller biblique, le fait de donner de l’espoir a toujours été pour moi une question de vie et de mort. Cela se confirme encore plus, maintenant comme jamais au Canada. Je continue de prier contre cette culture de la mort qui, sous des couverts de compassion, n’en demeure qu’un déguisement.  Que Dieu nous accorde sa grâce et sa miséricorde. »

  • Un pasteur du Fellowship considère l’AMM comme tout autre suicide.

« J’ai réfléchi délibérément à ce propos, mais je n’ai malheureusement pas grand-chose à apporter là-dessus. Je n’ai pas eu à affronter cette situation. À vrai dire, en tant que pasteur, je n’ai jamais eu affaire à un suicide, Dieu merci! J’ai cependant apporté des soins pastoraux à plusieurs personnes qui ont tenté de se suicider. J’ai donc dû affronter ces questions de plein fouet.

Je peux offrir mes réflexions sur ce sujet :

  1. Je ne crois pas que l’on devrait aborder l’AMM différemment des autres formes de suicide. Les commentaires qui suivent reflètent cette réflexion.
  2. Si l’on requiert ma présence avant la mort d’une personne, mon objectif sera de convaincre cette personne de la valeur de sa vie et qu’elle ne devrait pas y mettre fin. J’établirai clairement cette priorité dès le départ, au cas où l’on ne voudrait plus m’inviter.
  3. Si l’on me demande de célébrer les funérailles, j’accepterai. En fait, j’accepte généralement d’emblée toutes les invitations à célébrer des funérailles que je peux, parce que je crois qu’elles constituent une si belle occasion de présenter l’Évangile. Si la famille souhaite en présenter une plus favorable que celle je ferais, je ne tente pas de les convaincre de faire autrement. Cependant, je gérerai mon influence et ma voix de manière qu’elles reflètent mon point de vue. Il faut noter que cela ne signifie pas que je transformerai cet événement en un plaidoyer pour l’AMM. Je veux simplement dire ici que je parlerai de la situation sans célébrer ni valider cette décision. J’ai participé à tant de funérailles excentriques, contraires à la perspective biblique, que j’ai pu aborder avec amour et honnêteté en montrant l’Évangile. Je ne crois pas agir différemment lors des funérailles d’une personne qui a eu recours à l’AMM. »

 

  • Un aumônier du Fellowship a décidé d’être « présent » lors de l’administration de l’AMM :

« La majorité des aumôniers avec qui je me suis entretenu sur le sujet ne croient pas à l’AMM et limitent ainsi leur ministère auprès des personnes qui y ont recours. Il y a environ quatre ans, j’ai rencontré plus de vingt aumôniers. J’ai été surpris d’être le seul qui souhaitait exercer un ministère auprès de patients qui voulaient être accompagnés dans leurs derniers moments après avoir eu recours à terminer leurs jours par une assistance médicale. Les aumôniers avaient une bonne raison de ne pas y être. Ils ne sont pas d’accord avec cette démarche; moi non plus d’ailleurs. Cependant, à cette occasion et à plusieurs autres reprises, je leur ai expliqué que si j’étais disposé à exercer un ministère uniquement aux personnes avec lesquelles j’étais d’accord, la sphère de mon ministère s’en trouverait grandement réduite. Par conséquent, j’ai pris la décision dès le départ de l’évolution de cette question que j’exercerai un ministère jusqu’à la fin aux personnes qui reçoivent l’AMM. Je conserve le droit d’exprimer honnêtement et diplomatiquement que je ne suis pas d’accord avec cette démarche, lorsque l’on m’interroge sur le sujet. Cependant, puisque mon Seigneur les accompagnera jusqu’à la fin, je dois refléter sa nature en étant également présent à leurs côtés. Je reconnais que cela pourrait être compris à tort comme mon assentiment au suicide médicalement assisté. Je souhaite prendre le risque, que même au dernier moment, cette personne me demande de prier ou me demande comment ultimement croire en Jésus-Christ comme son Sauveur. Si une telle chose survient, je veux être là. De plus, si l’aumônerie constitue véritablement un ministère de présence, il serait logique de penser que cette présence est requise. Je respecte cependant les gens qui pensent autrement.

« Ces dernières années, j’ai connu trois personnes qui ont décidé de mettre fin à leurs jours avec l’aide médicale à mourir. J’ai exercé un ministère auprès de ces trois personnes. À quelles fins, jusqu’à présent, Dieu seul le sait! Fait intéressant, par ailleurs, ces trois personnes sont décédées avant qu’elles ne reçoivent l’AMM.

« L’un de nos aumôniers m’a raconté récemment qu’il croit à l’aide médicale à exister (AIME). Je reformulerais un peu cet acronyme ainsi : l’assistance spirituelle pendant la vie.

« En tant que pasteur, aucun membre ou adhérent de l’Église ne m’a demandé de l’accompagner dans le suicide assisté.  À l’inverse, plusieurs personnes de l’Église, bouleversées, m’ont raconté qu’ils ont reçu une invitation à envisager l’AMM. À vrai dire, comme pasteur plutôt que comme aumônier, je devrais traiter chacune de ces situations de manière individuelle. Et je devrais considérer si ma présence pendant un tel suicide médicalement assisté offenserait ou blesserait une famille. Je devrais alors repenser ma présence pendant un véritable geste de suicide. En théorie cependant, je m’attendrais à ce que la plupart souhaitent que je demeure jusqu’à la fin auprès de cette personne, qui fait partie de leur famille. Que ces gens comprennent la différence entre mon approbation de cette démarche et ma disponibilité pastorale. »

J’espère que ces pensées et ces conseils sur la manière de paître nos brebis dans le contexte de l’AMM sauront contribuer à vous préparer lorsqu’une personne, membre de l’Église, vous invitera à lui prodiguer vos conseils ou à l’assurer de votre présence.

Enfin, je vous encourage à lire l’article de Wyatt Graham du 19 décembre 2022, intitulé Canadians must not assist a culture of death, publié sur le site de la Gospel Coalition Lisez cet article utile ici.