Cybercarnet du président

Le jour où Atticus Finch est devenu l’ennemi public numéro un

Demandez à mes enfants quel est le livre préféré de leur papa. Sans hésiter, ils répondront en chœur : Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee. J’ai lu et relu ce livre à de nombreuses reprises. J’ai écouté également la version audio sur l'application Audible. Je possède le film, y compris l’édition anniversaire. Pour la fête des Pères, mes enfants m’ont offert en cadeau des billets de la pièce de théâtre présenté au Festival de Stratford. Je possède également le t-shirt et la casquette qui arborent « To Kill a Mockingbird ». Ma chienne, morte en avril 2019, se nommait « Scout », le prénom de l’héroïne du livre. Ma famille a dû mettre ses limites familiales lorsque j’ai voulu prénommer notre deuxième chien « Jem », prénom du frère aîné de Scout.[NDT] [Sophie, tu peux être reconnaissante envers Jessica d'avoir choisi ton magnifique nom.]

Quelque chose dans ce récit me saisit à la gorge et me bouleverse. Chaque fois que je regarde ce film, ces émotions profondes refont surface. L’une de mes scènes préférées entoure l'avocat Atticus Finch et père de Scout. Il quitte la salle du tribunal seul, après avoir plaidé pour la vie d’un homme innocent de race noire, faussement accusé du viol d’une femme blanche, dans le sud profond de l’Alabama dans les années 30. Toute la salle du tribunal est vide. Demeuré seul, Atticus range ses documents, se retourne et alourdi par le fardeau de cette journée, quitte stoïquement la salle. Il ne remarque pas la section « des gens de couleur » située au balcon de cette salle. Toute la communauté noire debout attend qu’il quitte cet endroit. Une dame noire, debout avec ses pairs, tient dans ses bras la fille d’Atticus, Scout. Elle lui glisse à l’oreille : « Debout, Scout. Ton père va passer. » Cela me touche immanquablement chaque fois que je revois cette scène.

Lorsque je serai grand, je souhaite ressembler à Atticus Finch. Selon moi, il est l’un des plus grands héros de la fiction jamais créés.

Harper Lee a choisi de ne jamais écrire un autre récit après Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Wow ! Il est facile de concevoir tous les autres récits qu’elle aurait pu nous livrer.

Vous pouvez imaginer mon enthousiasme lorsque j’ai entendu dire qu’un autre ouvrage antérieur, le seul, avait été découvert. Il a été publié en 2015.

Harper Lee avait en effet écrit Va et poste une sentinelle au milieu des années 50. Il s’agissait du même contexte et des mêmes personnages que Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, pour lequel elle avait remporté le Pulitzer. L'histoire se situe vingt ans après celui de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, dans la même ville, qui doit s’ajuster aux périodes de turbulences qui ont transformé l’Amérique du milieu des années 50.

Un éditeur avait examiné Va et poste une sentinelle dans les années 50. Il avait cru qu’un récit sur sa ville, et ses personnages vingt années auparavant pourrait être plus intéressant. C’est ainsi qu’elle avait écrit Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur et tout le monde avait cru son premier ouvrage perdu.

J’ai lui cet ouvrage. À vrai dire, ma lecture a été difficile. Atticus n’était plus le même homme. La vie l’avait abattu.

Atticus rencontre la théorie critique.

Ce qui m’attriste, à notre époque éclairée, c’est que je peux qu'imaginer Va et poste une sentinelle de Harper Lee demeure probablement un roman beaucoup plus populaire aujourd’hui que Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. En ces périodes de « fragilité blanche », « d’oppression intériorisée » et de « racisme daltonien », j’imagine qu’Atticus Finch pourrait être considéré comme un ennemi plutôt qu’un héros.

La théorie critique contemporaine se fonde sur l’idée que la société peut se diviser en deux groupes : celui des dominants, des oppresseurs et celui des subordonnés, des opprimés. Aux abords desquels se trouvent la race, la classe, le genre, la sexualité ainsi que d’autres facteurs. L’ouvrage Is Everyone Really Equal? de Sensoy et DiAngelo, décrit ce postulat : tout groupe social comporte un groupe contraire opprimé. Le sexisme, le racisme, le classicisme et la discrimination contre les homosexuels sont ainsi considérés comme des formes particulières d’oppression.

Groupe cible

Oppression

Groupe d’agent

· personnes de couleur

· racisme

· personnes blanches

· gens pauvres et de classe moyenne

· classicisme

· classe possédante

· femmes, transgenres, queers

· sexisme

· hommes

· LGBTQ+

· discrimination envers les homosexuels

· hétérosexuels

· religions non chrétiennes

· oppression religieuse

· chrétiens

· handicapés

· capacitisme

· physiquement apte

· immigrants

· nationalisme

· citoyens

· autochtones

· colonialisme

· colons blancs

 

Atticus Finch, ennemi public numéro 1

Personne ne nie que tous ces mots, qui se terminent en « isme » de cette liste sont oppressifs, méchants et méritent notre mépris. Chacun d’entre nous pourrait se retrouver à la fois dans le groupe d’oppresseurs et dans celui des opprimés. L’intersectionnalité se définit comme l’idée que nos identités sont complexes et qu’elles ne peuvent être comprises uniquement selon un axe simple. Compris selon un axe idéologique extrême, la compréhension de l’oppression ne se définit plus seulement par des actes de cruauté, de violence, d’injustice et de coercition. Elle s’étend pour inclure le groupe dominant dans la société qui impose les normes sociales et les valeurs traditionnelles qui justifient ses propres intérêts. Ainsi l’oppression n’est pas nécessairement l’injustice subie par les gens à cause du pouvoir coercitif. Mais elle peut se retrouver dans les comportements de tous les jours et dans les normes d’une société civile bien intentionnée. Ces mises en pratique intégrées, ces habitudes et ces symboles sont oppressants.

Une telle définition rendrait ainsi Atticus Finch, l’ennemi public numéro un. Quoi ? Pas mon Atticus !

Cet homme blanc citoyen plus âgé, hétérosexuel, et avocat ; il fait donc partie de la classe moyenne supérieure, et est apte au travail et d’orientation chrétienne. Il coche toutes les cases. Mon héros devient ainsi l’ennemi.

Vous devez comprendre « l'époque » où nous vivons.

Permettez-moi de vous encourager à vous renseigner davantage sur la théorie critique, l’intersectionnalité et le fondement sur lequel repose cette incroyable façon de penser. Demeurez mal informé en cette matière à vos risques et périls. Je demeure débutant sur ce sujet, mais j’aspire à me renseigner.

La lecture de l’ouvrage de Carl R. Trueman, The Rise and the Triumph of the Modern Self est un bon point de départ. Carl est théologien et historien au Westminster Theological Seminary ; il tisse l’histoire des idées qui ont mené à la pensée populaire au XXIe siècle. Tout chrétien qui réfléchit devrait jeter un coup d’œil à cet ouvrage. Je viens tout juste d’entendre mon pasteur citer M. Trueman dans l’un de ses sermons dernièrement. Bravo, Bob !